La dépendance affective
A. Définition
B. Profils et sous-profils
C. 2 relations complémentaires
tu aimes A. Définition
L'expression DA sert particulièrement à évoquer la souffrance qu'une personne peut vivre dans une relation amoureuse, du fait que ses besoins affectifs ne sont pas suffisamment satisfaits.
L'expression véhicule un certain jugement sur le besoin affectif, jugé excessif, immature.
B. Différents profils
1. Le profil-type
Le profil-type correspond au cas où la DA est manifeste : la personne s'accroche, elle est "collante", a "tout le temps" besoin d'être rassurée, elle occupe la position basse (ce qui n'exclut pas un certain pouvoir sur l'autre), elle est consciente de son besoin d’être aimée, rassurée, mais la stratégie qu'elle développe pour satisfaire son besoin n'aboutit pas au résultat escompté. On peut avoir l'impression d'un puits sans fond, d'un sac troué.
En termes d'attachement (BOWLBY, AINSWORTH...), cela correspondrait au profil attachement insecure anxieux (le profil qui recherche le rapprochement de la figure d'attachement quand son système d'attachement se trouve activé).
Ce profil s'étend vraisemblablement sur une palette en termes de degré.
2. A côté de ce profil-type, il y a d'autres personnes qui se targuent plutôt de n'avoir besoin de personne, qui ne semblent pas éprouver de besoin affectif, qui ont mis leurs émotions sous cloche (sauf la colère dans certains cas). Cependant, il se peut que ces personnes, en cas de rupture, dévoilent une facette surprenante d'elles-mêmes, et se mettent à pleurer, à supplier; ce qui fait dire que le besoin affectif existe bel et bien, mais qu'il est latent, non conscient et non assumé.
En termes d'attachement, on pourrait faire correspondre ce profil à celui de l'attachement insecure évitant.
(60% des personnes ont développé un attachement secure, 15% anxieux, 15% évitants, et 10% désorganisé; lire Marc PISTORIO à ce sujet "Dis moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es")
On pourrait retrouver dans cette catégorie (besoin affectif refoulé) 3 sous-profils: celui de la personne dépendante d'une substance ou d'une activité, celui du Sauveteur, et celui de l’anti-dépendant.
Voyons ces 3 sous-profils plus en détail.
2.1. La dépendance à une substance (nourriture, alcool, drogue…) ou à une activité (achats compulsifs, travail excessif, sport intensif, jeux de hasard, internet, pornographie…) permet d’éviter sa souffrance, de combler momentanément un vide affectif, de soulager une tension. Une dépendance n’est pas nécessairement destructrice ; cela dépend de l’assiduité et des répercussions. On peut aisément imaginer que l'assuétude n'est pas un atout pour construire une relation d'intimité. Qu'au lieu d'être deux, on est à trois.
2.2. Le Sauveteur vole au secours des autres, avant qu’ils n’aient demandé quoi que ce soit. Il sera donc attiré de façon préférentielle par des personnes « à problèmes », dépressives, endettées, n'ayant pas rompu le lien avec un(e) ex, qui ne sont pas libres… (co-dépendance). Ce fonctionnement lui permet de se sentir utile, valorisé, rempli, exister, de materner ; il a besoin que les autres aient besoin de lui, il a besoin de se sentir indispensable (équivalent d'un "stroke" en Analyse Transactionnelle). C’est Zorro, Superman ou Robin des Bois, le Justicier, le redresseur de torts. Le Sauveteur a du mal à dire non ; cela éveille sa culpabilité. Il ne supporte pas de voir l'autre en détresse. Autant il a des facilités pour donner, autant il a du mal à demander et à recevoir (et à se respecter).
Le côté négatif du Sauveteur, c'est que son comportement met la relation en déséquilibre, maintient l’autre dans une position de Victime, de dépendance. Il cherche à aider, à sauver, mais il n'aide pas au développement de l'autonomie, à la prise de responsabilité. D'autre part, il pourrait se transformer en Persécuteur, et il exerce un contrôle sur l'autre.
Lorsque le partenaire du Sauveteur va mieux (ex. personne alcoolique qui va aux réunions AA), il arrive que le Sauveteur commence à aller mal, à déprimer. Il est confronté au vide de son existence. Il se dépêche alors de trouver une autre âme en détresse (à moins qu'il ne profite de l'émergence de ces sentiments pour entreprendre une thérapie).
2.3. L’anti-dépendant se targue de n’avoir besoin de personne. Il est animé par le scénario « Sois fort » (Analyse Transactionnelle). Il s’est construit lui-même, puisque ses parents étaient défaillants. Comme le Sauveteur, il a du mal à demander et à recevoir. Il fuit le rapprochement, l’intimité (cf attachement évitant). Dans la littérature des mouvements Anonymes, on parle d'anorexie affective.
Ces 4 profils et sous-profils se combinent entre eux et peuvent se retrouver dans des relations complémentaires :
Le DA avec un anti-dépendant (attachement insecure anxieux avec attachement insecure évitant),
Le Sauveteur avec un dépendant à une substance.
C. Les relations complémentaires
1. DA - Anti-dépendant
Une personne en dépendance affective peut se retrouver face à un(e) partenaire plutôt distant, voire anti-dépendant ou pervers ou manipulateur.
De ce fait, elle se trouve prise dans une lutte, un combat, des efforts (un défi?) pour tenter de contenter l'autre et d'être - enfin - aimée. Il s'agit d'un schéma répétitif installé dans l'enfance.
La personne en DA n'est pas une simple victime; il peut lui arriver aussi de se montrer dure, distante, que ce soit dans cette relation, de façon épisodique, ou dans une autre relation de façon plus chronique. En AT (Analyse Transactionnelle, avec les côtés Parent, Adulte et Enfant), on dira que c'est alors la partie Parent Persécuteur qui prend le pouvoir.
Par "distant", on peut entendre quelqu'un qui manifeste peu d'émotions, peu de tendresse, qui est plutôt froid, mystérieux, fuyant, qui communique peu (pour le moins dans cette relation précise); ou quelqu'un qui ne souhaite pas s'engager dans la relation (il(elle) veut juste passer de bons moments, ou limiter la relation à un aspect sexuel); ou encore quelqu'un qui n'est pas disponible (ex. homme marié). Malheureusement, ce côté "distant" peut être attirant pour certaines personnes, qui peuvent y voir comme un défi à relever ("je vais arriver à ce qu'il s'intéresse à moi", "je vais l'ouvrir à l'amour", "je vais le rendre heureux").
Ce profil n'est pas problématique en soi; c'est la relation qui devient problématique à partir du moment où les besoins de l'un ne correspondent pas à ce que l'autre est en mesure de donner, ce qui entraîne de la frustration et de la souffrance.
Le partenaire "distant" occupe une position dominante (une position haute) dans le couple. C'est généralement celui qui possède un pouvoir de séduction plus élevé, ou un pouvoir lié à une situation professionnelle. Il a plus d'aisance, il paraît sûr de lui. Il est en position de force.
Mais le pouvoir de la Victime n'est pas à négliger non plus: elle peut culpabiliser l'autre par son mal-être, voire par sa maladie.
Cette position est complémentaire avec la position du partenaire "dépendant". C'est peut-être ce côté "sûr de lui" qui a attiré la personne "dépendante", qui manque peut-être justement de confiance en elle. Peut-être qu'elle se sent protégée par le côté dominant de son partenaire.
Plus le partenaire dépendant reproche à l'autre son manque d'attention, plus il insiste pour que l'autre communique, et plus le "distant" se sent emprisonné, sous pression, et augmente la distance. Ce qui, progressivement, mène à une escalade et à la crise finale.
En somme, chacun des partenaires a sa part de responsabilité dans l'évolution du couple.
Ce côté "distant" peut, à un cran de plus en direction de la violence physique, présenter un aspect destructeur. Nous entrons alors dans le registre de la violence morale, dans la problématique du manipulateur ou "pervers narcissique". Il s'agit d'une personne qui va chercher à vous rabaisser, à vous humilier, à vous dévaloriser, à vous isoler de vos relations. Elle pourra semer le doute et la confusion dans votre esprit, battre le chaud et le froid. Vous serez déstabilisée entre ce que vous vivez dans l'intimité et l'image positive que cette personne donne à l'extérieur (serviable, enjoué...).
En somme, il s'agit d'un schéma Victime - Persécuteur. Ces 3 rôles (Victime, Persécuteur et Sauveteur relèvent de la terminologie de l'AT; on appelle ça le triangle dramatique)
2. Sauveteur - Partenaire en détresse
Le second modèle relationnel met en scène un-e Sauveteur-se et un(e) partenaire en détresse (une Victime). Cette détresse peut être le fait d'une assuétude (drogue, alcool, jeu...), d'une dépression, de problèmes financiers ou de problèmes sentimentaux (ex. relation avec un-e ex non résolue).
Le Sauveteur vole au secours de l'autre sans attendre que celui-ci ait exprimé une demande claire en ce sens. Il fait passer les besoins des autres en premier; ses propres besoins, il n'en est peut-être même pas conscient. Venir en aide correspond pour le Sauveteur à un fonctionnement acquis pendant l'enfance (ex. face à une mère déprimée) et qui a eu alors fonction de survie, ou en tout cas a permis de ne pas rester impuissant face à sa propre émotion douloureuse. Ce comportement n'est plus adapté, mais il fonctionne de façon automatique.
C'est la stratégie que la personne a développée pour obtenir des "strokes" (terme de l'AT pour désigner des signes d'attention).
Les croyances de la personne qui excelle dans le Sauvetage: « Il faut que tu vives car si tu ne vis pas, je suis morte », « L’autre a besoin de moi pour être heureux », « Si l’autre n’est pas bien, je ne peux pas être bien », « Je ne peux pas être aimé pour moi-même, je dois lutter pour obtenir de l’amour ». Scénario : « Fais des efforts », "Fais plaisir".
Les bénéfices de cette pratique : cela permet de cultiver une bonne image de soi (valorisation), de ne pas s’occuper de sa propre souffrance, de remplir son vide intérieur.
Inconvénients : à moyen terme, celui qui se sacrifie, finit, face au non changement, par en avoir marre et peut se montrer Persécuteur ou Victime ; absence de relation d’intimité.
Le Sauvetage peut être considérée comme une dépendance ; la personne a besoin que son (sa) partenaire ait besoin d’elle. A ce propos, il est significatif de constater, qu’en cas d’amélioration du partenaire (par exemple suite à la fréquentation d’un groupe AA), la personne dans un rôle de Sauveteur commence à se sentir mal, à déprimer ; elle peut alors s’éloigner et partir à la recherche d’un(e) autre partenaire en détresse. Probablement que cette amélioration est interprétée dans le sens « L’autre n’a plus besoin de moi », et donc la personne peut se sentir abandonné(e) et/ou se sentir sans valeur ou être confronté(e) au vide: "Si l'autre n'a pas besoin de moi, je ne sers à rien, je n'ai pas de valeur, je n'existe pas". Une autre explication serait de dire que ce sentiment dépressif est le contre coup des années passées dans le stress.
Dans les deux modèles relationnels, la relation est déséquilibrée; il y a absence de communication juste et d'intimité, puisqu'aucun des deux partenaires ne s'est encore trouvé. En fait, ils sont à trois dans la relation (1 + 1 + le problème). Une pression est exercée sur l'autre pour l'amener à changer. Dans les deux cas, on a à faire à une relation de pouvoir.
Au-delà de ces catégorisations, il importe aussi de distinguer la souffrance relationnelle déclenchée par le comportement violent du partenaire (violence physique, verbale...), de la souffrance déclenchée indirectement par un(e) partenaire insuffisamment disponible.
Et l'amour dans tout ça?
Il importe de ne pas confondre l'excitation (insécurité, activation du système d'attachement) éveillée par le contact avec une personne distante, évitante, pas trop disponible, pour de l'amour. C'est juste une activation du système d'attachement. Ou de la peur.
En contraste avec le tableau qui vient d'être dépeint, la relation d'amour entre deux personnes secures sera plus sereine, moins passionnelle, plus épanouissante, plus satisfaisante.
Si on n'a pas eu la chance de développer un attachement secure, la bonne nouvelle c'est qu'on peut y arriver plus tard (lire Marc Pistorio, et voir le chapitre "thérapie").